Lettres gourmandes

A-    Artichaut.

Juste un légume pour nature morte. Des dizaines de feuilles vertes et violacées, comme un gros nénuphar à peine mûr, à séparer d’un cœur pâle et filandreux dont la matière grise et molle d’une saveur douceâtre ennuie mes papilles insensibles. Des dizaines de feuilles dont on ne sait quoi faire après les avoir goûtées du bout des lèvres. Quand j’étais enfant ce qui m’amusait c’était d’incliner l’assiette et de la caler avec un bout de pain pour que la délicieuse vinaigrette, à l’huile d’olive et à l’ail, s’immobilise juste au bord de l’assiette. Ensuite j’y trempais le reste de mon pain que j’avalais goulûment jusqu’à obtenir une assiette immaculée.

B-    Beurre

La tranche de pain beurrée était si épaisse qu’en la croquant j’y collais mon nez et découvrais cette odeur âcre du beurre rance avant de l’avoir goûter. Cela me gâchait tout un après-midi chez ma grand-mère.

C-    Crêpes

Rituel familial quand nous étions en vacances à Ambleteuse. Parents, fratrie, cousins, cousines, tantes, oncles devenions pèlerins sur la route de campagne vallonnée. Elle nous menait sinueusement, en une heure quarante, vers la sacro-sainte crêperie de Monsieur Dubut. Affamés et assoiffés nous avalions des rasades de cidre brut et goulûment quelques crêpes au sucre ou à la cassonade. J’avoue… Il m’arrivait d’engloutir également la dernière crêpe refroidissant dans l’assiette de mon cousin pendant qu’il jouait au baby-foot. Il était, lui, vite rassasié et heureusement peu rancunier.

D-   Diner

A dix ans. Diner à la table des adultes. Grand moment de solitude au milieu d’un brouhaha de discussions interminables, d’un pâté en croûte et d’une salade trop vinaigrée.

E-    Endive

Endive ou chicon peu importe, son amertume m’a longtemps crispé les mâchoires jusqu’au jour où son heureuse rencontre avec une tranche de jambon escortée d’une sauce béchamel m’a redonné le sourire en me révélant en douceur le goût subtil de cette perle du Nord.